Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au pays de Lambert
25 septembre 2010

Souvenirs, souvenirs...

Vous passez la Sierra Nevada, le décor change. La civilisation s’étiole. Sur la route, quelques « indian tacos », guère plus. Vous quittez la route pour une piste embrumée de poussière. Le camping-car roule à présent sur une surface nue, stérile, hantée de mirages. C’est le vide aux alentours, sur des miles et de miles. Le vent soupire et tournoie. Des montagnes s’élèvent au loin comme d’énormes cloques délimitant le lac desséché, fiévreux, unique hauteur mesurable à perte de vue.

Et maintenant ?

Vous arrivez aux portes de Black Rock City, la ville éphémère : sept jours et sept nuits. Surtout sept nuits.

Vous respectez la tradition, sonnez la cloche en criant « I’m not a virgin anymore ! »…

132

Vous entrez dans un labyrinthe byzantin, dédale de camping-cars, de tentes, de campements recouverts de toiles de parachute ou de fines mousselines qu’agite la brise. Vos yeux s’arrondissent. Vos sens sont assaillis par un déferlement de couleurs, d’odeurs et de sons. Des faux extra-terrestres côtoient des faux bédouins. Il y a beaucoup de nudistes. Et des ateliers à la fois ludiques et éducatifs : « Make your own dildo », « How to practice fist fucking without danger ». Zut, on a raté le concours de cunnilingus.

149

Les véhicules qui sillonnent le camp sont travestis de manière extravagante : tous ont subi des modifications structurelles radicales qui les ont transformés en objets d’art montés sur roues. Voitures du futur, du passé, voitures-animaux (insectes, poissons, chats…), voitures-bateaux… Black Rock City palpite d’une vitalité entêtée en dépit de l’écrasante chaleur du désert. Elle est dominée par la silhouette d’un homme de bois géant, posé comme un totem au sommet d’une tour.

La nuit tombe. L’Homme s’illumine. Les lumières incessantes ont de quoi faire pâlir Las Vegas de jalousie. Des flammes montent du sol, au loin, par intermittence, comme sorties de derricks endommagés. Voilà pour « Blade Runner ». Mais il y a aussi du « Mad Max » dans l’air : un « dôme du tonnerre » grandeur nature a été reconstitué sur « la playa ». Les spectateurs grouillent comme des fourmis sur les tiges de métal entrecroisées qui font office de gradins. Vous vous approchez. Mélange de curiosité et d’appréhension. Au centre de la scène, un colosse empoignant un bâton à tête de mort entame son boniment de chauffeur de salle :

- Deux entrent, un seul sort !

Deux hommes s’apprêtent à s’affronter : un punk vif et nerveux et un colosse bâti comme un char d’assaut. Tous deux portent des harnais reliés à des palans par de lourds câbles élastiques. Ils sont armés de battes en mousse. Des assistants les tirent à chaque extrémité de l’arène avant de les lâcher d’un coup. Les élastiques les propulsent. Leurs corps se heurtent brutalement, rebondissent, tournoient au bout des câbles. Cauchemar à gravité zéro. Ils se tapent dessus, se mordent, se griffent, tout cela sous les acclamations de la foule. Ils se balancent, accrochés dans les airs comme des quartiers de bœuf.

Vous en avez vu assez. Un peu plus loin, un chapiteau d’où s’échappe une flûte lascive. L’air est lourd des stridulations de la musique, des odeurs de sueur mêlées aux parfums et aux relents de fumée – tabac et autres substances plus ou moins contrôlées. Vous discernez des hommes et des femmes alanguis sur des tapis ou des poufs orientaux. Quelques danseurs nus s’abrutissent au centre de la salle, comme s’ils désespéraient de parvenir à marteler leur abandon durant les heures nocturnes. Une expression à mi-chemin entre le tourment et la béatitude luit sur les visages en sueur. Il n’y a pas de conversation. Des couples sont agglutinés dans des ombres spectrales. Les silhouettes indistinctes s’embrassent et se caressent. Être spectateur ou participant ? That is the question.

Il est tard, vous allez vous coucher.

Le lendemain matin, vous avez la gueule de bois. Vous allez prendre un café à Center Camp. Atmosphère de cour des miracles : des danseurs s’agitent en faisant tourner sans fin des cerceaux autour de leurs hanches. Des jeunes gens exsangues dorment sur des coussins. D’autres se livrent à des exercices d’assouplissement complexes. D’autres encore font du yoga. Plusieurs files mènent à un bar où l’on peut trouver jus de chaussette ou jus de fruits. Sur une estrade, à l’écart, un homme décharné déclame un poème à la gloire de la « vie célébrée ». Une poignée de spectateurs somnolents l’écoutent et applaudissent quand il a fini sa tirade.

Vous sortez. Quelqu’un crie « MORE DUST COMING ! ».

C’est la tempête. Des rideaux de poussière tourbillonnante brouillent la visibilité. Le vent hurle. Vous avez oublié vos lunettes de protection – achetées 16 dollars à San Francisco – dans le camping-car. Vous êtes aveuglé. Le vent tombe. Vous avez erré. Vous voyez apparaître une femme de métal artistiquement tressé, haute comme un immeuble de quatre étages.

Vous vous rendez au Temple des Larmes.

240

Vous pénétrez dans ce lieu de recueillement, la gorge serrée. Des hommes et des femmes de tous âges, de toutes races et de toutes confessions prient, pleurent, se consolent mutuellement. Ils ont collés des photos de leurs chers disparus sur les murs en bois, écrits des messages. Des centaines. Un père emporté par le cancer, une grand-mère morte de vieillesse, un enfant porté disparu, une compagne tuée dans un accident… Tous sont partis. Tous hantent encore le cœur et l’âme de leurs proches. Une vague d’émotion vous submerge. Vous pleurez, comme tout le monde.

Les jours passent.

L’Homme géant lève les bras, signe que sa fin est proche.

C’est la nuit. Vous êtes dans la foule. Les premières flammes s’élèvent. Le feu s’ébroue. Des langues incandescentes montent à l’assaut de l’Homme. Elles tressaillent en ondulations lascives. Les néons explosent. La silhouette humaine s’embrase. Les gens exultent. Vous êtes fasciné. L’Homme est grignoté. L’un de ses bras s’abaisse. Le second  demeure levé, comme dans un geste de défi adressé au reste du monde. Une chevelure de flammes ceint son crâne. On dirait les serpents de Méduse s’agitant, langues bifides dardées.

L’homme s’écroule d’un seul coup !

La foule laisse exploser son trop plein d’émotions.

Les gens se précipitent sur les multiples pistes de danse du campement pour célébrer dignement la crémation. Faune baroque. Des silhouettes bizarres, fantasmagoriques, de dessins animés vivants, se croisent dans un va-et-vient incessant. C’est la fête, partout.

Le lendemain, c’est déjà – enfin ? – la fin.

La foule des derniers « burners » fait cercle autour du Temple des Larmes. On allume le bûcher. Le feu dévore petit à petit l’étrange construction, sorte de canyon bâti en bois de cagette. Il gagne en ampleur, en beauté. Les spectateurs sont silencieux, comme s’ils retenaient leur souffle. Les yeux rougissent, brûlants, et pas seulement à cause de la proximité du brasier qui transforme les visages des premiers rangs en masques de terre cuite. Des petites tornades de poussière ondulent entre ciel et terre, poussées par la chaleur, comme si des colonnes d’âmes entremêlées étaient enfin libérées du sanctuaire en flammes. Moment d’émotion partagée. On n’entend que le crépitement du feu… Les derniers morceaux du temple longuement mastiqué par les flammes s’écroulent. Il n’y a pas d’applaudissements ou de cris hystériques, comme la veille. Et c’est encore bien plus fort. Engourdi par un repas trop plantureux, le feu se meurt lentement…

On va plier bagages. L’exode peut commencer. Vous avez changé. De quelle manière ? Il est encore top tôt pour le dire...

Many thanks to producer Sandrine Di Rienzo and director Laurent Le Gall for this wonderful « voyage in Utopia”…

117

239

204

162

115

Publicité
Publicité
Commentaires
E
Tu devrais écrire des romans, toi, tu sais.
Au pays de Lambert
Publicité
Publicité