Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au pays de Lambert
15 avril 2009

L'ART DE LA GUERRE, 1ère partie

QUELQUES CONSEILS POUR METTRE EN SCENE DES BATAILLES EPIQUES

Je suis en pleine rédaction de mon roman consacré à la reine Boadicée, personnage authentique qui infligea une terrible défaite aux légions de Rome, 60 ans après JC… avant de se faire étriller à son tour quelques semaines plus tard.

Il y aura deux batailles dans ce livre. Une au milieu (victoire). Une à la fin (défaite).

Comment aborder la chose ? Ai-je des méthodes ? Des recettes ?

La réponse est « oui ». Êtes-vous tenus de les suivre ?

La réponse est « non ». Chacun fait comme il veut.

TO FIGHT OR NOT TO FIGHT ?

Est-il moralement justifiable de présenter la guerre sous un jour épique, c'est-à-dire « excitant » ? Vaste débat. La tradition remonte loin : Homère, la chanson de geste médiévale…

La guerre a toujours inspiré les poètes, les écrivains, les peintres, les cinéastes. C’est ainsi. La plupart des spectateurs ou des lecteurs aiment les scènes de bataille. La chose est surtout vraie pour les garçons. Il semble que cela soit inscrit dans nos gènes et fasse appel à nos pulsions les plus primaires. Les filles aiment les serments au clair de lune, les séduisants médecins d’âge mûr et les chastes vampires. Les garçons aiment la BAGARRE. Et les monsters trucks, aussi J

Je discutais un jour avec Laurent Genefort du roman « Légende » de David Gemmel, et il a eu cette phrase lapidaire « C’est du Harlequin pour les garçons ». Pas faux…

Si vous n’êtes pas attiré par « le fracas des armes et l’odeur âcre de la poudre », il y a des moyens créatifs d’esquiver la BAGARRE.

J’adore cette anecdote « fordienne » datant du tournage de « Sur la piste des Mowhaks ». Tous les jours, le producteur, Daryl F. Zanuck, demandait à John Ford : « Où en est-on de la bataille ? Quand allons-nous tourner cette fichue bataille ? ». Et Ford de répondre « Bientôt, bientôt ». Un jour, Zanuck lui pose pour la centième fois la question fatidique, et le réalisateur répond : « La bataille ? On l’a filmée hier, ça y est ». En fait, il avait collé Henry Fonda contre un mur, fait tourner la caméra et demandé à son comédien « Alors, cette bataille, c’était comment ? Qu’est-il arrivé à Peter ? Qu’est-ce ça t’a fait de devoir tuer cet homme ? De voir mourir ton pote John ? etc ». Fonda, qui connaissait parfaitement son personnage, avait improvisé de très bonnes réponses. Ainsi, le voit-on, dans le film, raconter comment il a vécu, de l’intérieur, cette bataille… complètement ellipsée ! Ford avait bien compris que les batailles n’ont aucun intérêt en elles-mêmes mais qu’elles sont de puissants vecteurs de thèmes, d’émotions, de choix moraux. Il faut bien sûr, pour cela, aller au delà du stade "Harlequin pour garçons".

Vous avez le droit d’être un adepte du « Les indiens attaquent le fort ». Et basta. Pas de sang. Pas de détails. Mais vous risquez de frustrer une partie du lectorat (surtout si votre ouvrage est vendu comme un livre de BAGARRE ;-)

Donc, reprenons : vous n’avez trouvé aucun moyen d’esquiver la BAGARRE, ou peut-être la considérez-vous dramatiquement justifiée et indispensable à la progression du récit ; vous voilà alors avec vos deux armées face à face, prêtes à se taper dessus.

1/ UN PLAN SIMPLE

La « ligne claire », encore et toujours. Surtout si vous débutez dans « l’art de la guerre ». En d’autres termes, évitez les stratégies du genre « Pendant que j’enfoncerai l’aile gauche avec ma cavalerie, les archers de Bidule ouvriront une brèche au centre pour permettre à nos fantassins de scinder en deux la formation des légionnaires alors que les balistes se concentreront sur l’aile droite, secondées par les, etc. ». A moins d’être un féru de « wargames », votre lecteur normalement constitué ne va pas s’amuser à retenir cinquante mouvements de troupes, aussi ingénieux soient-ils. La stratégie exposée doit être résumable en une phrase : « on les prend en tenaille et on referme des deux côtés » ou « on les attaque par derrière ».

Fixez des objectifs simples : tenir le pont OU traverser la plage OU faire sauter le nid de mitrailleuse.

Si vous ne pouvez faire l’économie d’une stratégie complexe, échelonnez les actions : « OK, maintenant que nous avons fait sauter ce bunker, on peut nettoyer les tranchées ». PUIS « Maintenant qu’on a nettoyé les tranchées, on traverse le no man’s land », etc.

LA PREPARATION

N’oubliez jamais que votre bataille est un petit livre dans le livre (ou un film dans le film, si vous êtes cinéaste). Elle doit être charpentée, structurée. Il y a, dans les commentaires audio du DVD « Spartacus » de Kubrick, d’intéressantes indications données par son directeur artistique Saul Bass (l’homme qui conçut graphiquement les meilleurs génériques d’Hitchock). Bass décompose ses scènes de bataille en trois parties, trois actes : la préparation, la bataille elle-même, la débacle.

Je ne le répéterai jamais assez : soignez les préliminaires. Faites monter la tension. Tendez la corde dramatique au maximum et relâchez-là d’un coup. Effet garanti.

La phase préliminaire permet en outre d’alterner entre « intériorité » des personnages et « vue d’ensemble » du champ de bataille. Une fois, dans le feu de l’action, ces changements d’échelle sont plus difficiles à manier. La « vue d’ensemble » est très utile pour appuyer et clarifier les diverses stratégies déjà évoquées.

Extrait de LA BATAILLE, de Patrick Rambaud

«    - Sire, l’échelle est installée. Avec votre télescope de campagne vous couvrirez tout le champ de bataille.

L’empereur leva les yeux vers le sapin et l’échelle souple qui y balançait. Lui qui avait tant de mal à se maintenir sur une selle, comment allait-il grimper là-haut ? Il soupira :

-         Montez, Lejeune, et rendez-moi compte par le détail.

Lejeune était déjà au dessus des branches basses quand l’empereur ajouta :

- Ne considérez pas les hommes mais les masses, comme pour vos foutus tableaux ! »

C’est exactement ça : ne vous perdez pas dans les détails. Voyez large, en cinémascope !

L’intériorité, à présent.

Que se passe-t-il dans la tête de quelqu’un qui attend le déclenchement des hostilités ? Nous autres écrivains avons là un avantage évident sur nos collègues cinéastes. Profitons-en !  Les témoignages d’anciens combattants sont une source d’inspiration sans limite, d’autant que tout un courant d’historiens actuels s’intéresse maintenant à la guerre vue ou plutôt vécue « par le petit bout de la lorgnette » (lisez John Keegan, Victor Davis Hanson !).

Ces pensées peuvent être parfois paradoxales, bizarres. Ne jamais oublier que sur un champ de bataille le tragique cohabite avec le saugrenu.

Extrait de ALAMO, par Walter Lord :

« Tapi là, le lieutenant-colonel Pena eut une étrange pensée : s’il mourrait, il ne pourrait plus jamais parler à quelqu’un. »

Extrait de LA BATAILLE, de Patrick Rambaud :

« Vincent Paradis s’était écarté de ce groupe. Il redoutait de vivre sa dernière journée, et pour ne penser à rien, sinon à l’immédiat, il taquinait avec un roseau une grosse tortue . »

Extrait de A L’OUEST, RIEN DE NOUVEAU, par Erich Maria Remarque :

« Pour moi, le front est un tourbillon sinistre. Lorsqu’on est encore loin du centre, dans une eau calme, on sent déjà la force aspirante qui vous attire lentement, inévitablement, sans qu’on puisse y opposer beaucoup de résistance. Mais de la terre et de l’air nous viennent des forces défensives, surtout de la terre. Pour personne, la terre n’a autant d’importance que pour le soldat. »

Extraits de LA LIGNE ROUGE (titre original « Mourir ou crever », de James Jones (peut-être le meilleur roman de guerre de tous les temps, très différent de son adaptation cinématographique). Jones a été sur un champ de bataille et sait de quoi il parle :

« Les hommes s’installèrent dans des trous creusés par d’autres, par des inconnus, ou dans de petits fossés naturels, et s’efforcèrent d’imposer le sommeil à des corps qui s’entêtaient à expédier des messages de réticence le long des nerfs tendus à se rompre. »

Ou encore :

« Chez les hommes, l’angoisse et la peur, si longtemps refoulées afin de simuler le courage, se manifestaient par de bruyantes exhortations et des cris d’enthousiasme factice. »

TO BE CONTINUED…

Publicité
Publicité
Commentaires
G
bipbi
U
merci pour votre intervention cétait super !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
M
Voilà un vrai article, argumenté, utile, intéressant...<br /> JE me demandais pourquoi je n'écrivais plus rien sur mon blog. Là, j'ai compris ;-)<br /> <br /> Mike
E
Merci christophe,<br /> Comme tu le sais pour être toi même lecteur, c'est un vrai plaisir, de pouvoir lire ou d'entendre ce genre de commentaires et d'approche formulée par l'un des auteurs que l'on suit. Cela éclaire un peu le travail lent et méticuleux qui préside à la rédaction d'un texte.
L
Ouais... Tout simplement merci. C'est "amusant" car en lisant ce "torubillon" d'infos j'ai repensé à la Brèche et au soldat ryan et à pas mal de livres divers (étonnant non?) <br /> Bref, c'est fichtrement intéressant tout ça :)<br /> <br /> Merci!
Au pays de Lambert
Publicité
Publicité